Transmettre une entreprise familiale ? un exercice périlleux et un parcours semé d’embûches, sans aucun doute.
Il s’agit pourtant d’une démarche particulièrement actuelle et fréquente: en Belgique, 70% des entreprises, soit un tiers du PIB, sont des entreprises familiales.
Parmi les entreprises dans lesquelles le dirigeant a plus de 55 ans, 22% risquent la faillite à court terme (*) et ce, principalement en raison d’incompréhensions et de conflits, qu’ils soient exprimés ou non.
Les non-dits, les reproches, les tensions et absences de dialogues rendent donc le terrain miné. L’aspect familial en augmente la complexité.
Pourtant, le conflit en entreprise familiale reste un sujet peu abordé : de peur d’ouvrir la boîte de pandore, les familles en font un tabou. Sous prétexte du fameux esprit de famille, le conflit est nié ou, pire, ignoré.
Il est rarement anticipé et souvent mis sous le tapis. Non-traité, il finit par dégénérer ou éclater au grand jour, suivant les mécanismes sur l’échelle de GLASL (**) amenant à l’intensification du conflit et, par la suite, à des situations « loose/loose ».
Comment, alors, anticiper, aborder et réduire le conflit familial ?
Face à ces situations de non-retour inextricables, le constat est sans appel : mieux vaut prévenir que guérir !
L’assistance d’un médiateur spécialisé peut s’avérer être un précieux outil, tant pour prévenir que guérir le conflit dans la transmission d’une entreprise familiale.
De nombreux exemples pratiques en ont démontré les vertus.
Récemment, une personne, fille d’une famille composée de 2 enfants, nous a consulté et a exprimé son désarroi face à l’injustice qu’elle a subi depuis de nombreuses années au sein de l’entreprise familiale. Malgré le fait qu’elle ait clairement exprimé son souhait d’être active au sein de cette société, son père a décidé de transmettre les parts à son autre enfant.
Le litige fut l’objet d’un tel désaccord qu’il a été porté devant les Tribunaux. L’affaire dure depuis 15 ans sans espoir d’un résultat satisfaisant les besoins de toutes les parties.
La machine judiciaire s’avère peu adéquate à la situation et la question se pose de quelle manière la famille aurait pu éviter d’en arriver là.
Le père responsable de la transmission des parts, probablement mal conseillé, a agi selon un modèle de référence qui est le sien, dans lequel les attentes et les besoins légitimes de sa fille ont été délibérément ignorés. Sans gouvernance familiale en place, ni d’organe d’administration, aucune perspective n’a pu être proposée pour veiller à l’équité entre les deux enfants.
L’absence de prise en compte du point de vue de chacun et de consultation de tous a provoqué d’interminables procédures judiciaires avec pour seule issue un jugement imposé par un tiers que toutes les parties qualifieront d’injustes ou, pire, la rupture du lien familial et le déclin de l’entreprise qui, à terme, s’en suivra.
L’assistance d’un médiateur certifié et qualifié en entreprise familiale aurait, en revanche, pu amener les parties à la prise en compte des besoins et intérêts de chacun, à favoriser la compréhension et, par conséquent, apaiser la tension, entrouvrir les perspectives de solutions et imaginer toutes les options.
Le médiateur propose en effet, en tant que tiers impartial et indépendant, un processus où chacun a la parole.
L’approche de la médiation face à ces conflits
La médiation permet de rassembler toutes les parties autour de la même table sans pour autant laisser libre cours aux accusations, insultes et dialogues chaotiques.
Il s’agira de procéder selon un cadre bien précis qui permettra le bon déroulement des discussions pour enfin aboutir à une solution éclairée et durable.
Le médiateur entamera le processus en établissant un « protocole d’entrée » visant à rappeler les règles du processus. Il procèdera ensuite par l’établissement des faits et de la synthèse de l’enjeu.
Subséquemment, le médiateur donnera la parole à chaque partie afin qu’elle exprime sa vision, mais aussi son ressenti. Les besoins et intérêts sont identifiés, catégorisés et comparés.
Cette étape est essentielle car c’est souvent l’occasion de se découvrir des besoins communs, de ‘rassembler’ les parties autour d’une meilleure compréhension et acceptation de leurs différences.
Cette étape réalisée, le médiateur s’attèlera ultérieurement à envisager toutes les options possibles et imaginables pour l’enjeu défini. Cette phase est contre-intuitive et occasionne parfois une gêne dans le chef des parties, encore braquées. Elle est pourtant essentielle car, une fois les langues déliées, la magie opère et les parties débouchent sur des idées créatives et riches, élargissant les visions et sortant de leurs positions initialement immuables.
Sur base de ces idées, des paquets de différentes options seront constitués. Ces derniers ont pour but de veiller à équilibrer les différentes alternatives et ne léser aucune des parties de manière disproportionnée.
La médiation s’achèvera par le choix d’un des paquets d’options.
Le rôle du médiateur est central dans ce processus.
Le médiateur veille à la communication bienveillante, ouverte et transparente. Les émotions font partie intégrante du processus et le médiateur avisé les canalisera et en tiendra compte.
Dans toute médiation, supposant aussi une négociation, les besoins fondamentaux de Dan Shapiro (***) doivent être maintenus pour toutes les parties, à savoir : l ’appréciation et le respect par les autres , la connexion avec les autres , l’autonomie de décision , l’égalité du statut et son rôle dans le processus.
Le médiateur s’efforce de créer des ouvertures pour aboutir à un accord durable et éclairé, sans toutefois se prétendre porteur de la solution. Il joue le rôle de facilitateur.
La médiation peut être extra-judiciaire et volontaire ou ordonnée par le tribunal. Dans ce dernier cas, le protocole de sortie du médiateur certifié sera intégralement repris et reconnu par le tribunal.
Conscients de l’inefficacité, le coût et la lenteur des procédures contentieuses, les Tribunaux privilégient de plus en plus la médiation afin que la procédure judiciaire ne soit introduite qu’en dernier recours.
En somme, qu’elle soit extra-judiciaire ou judiciaire, la médiation offre un mode alternatif de résolution de conflit riche, fondé sur la conciliation, la transparence et la communication entre les parties afin d’aboutir à un accord respecté à long terme.
Cette approche, ayant déjà fait ses preuves dans de nombreux domaines, présente bien des avantages, y compris dans les entreprises familiales dans lesquelles les enjeux dépassent largement ceux des actionnaires.
La médiation, une réelle avancée aussi en entreprise familiale !
(*) LaLibreEco 25.11.2023
(**) Friedrich Glasl , Autriche °1941
(***) Daniel Shapiro, USA °1971
Roland De Wolf
Médiateur certifié
Cofondateur de Family Business Mediation
Formateur chez New Deal Academy